03/10/2011
Théâtre de l’Odéon,
Paris
Quand nous connûmes Mike Ladd avec ses premiers albums, à la fin des années 90, nous n’avions sûrement pas mesuré toute sa complexité. Trop vite rangé dans la case de ces groupes de hip-hop qui plaisent aux poppies, un peu "down-tempo", un peu "abstract". N’écoutant que nos idées vite faites, pendant la décennie suivante nous nous empressâmes de détourner nos oreilles dès que son nom surgissait. Il était donc hautement improbable de se retrouver lovés dans les confortables fauteuils du théâtre de l’odéon ce lundi pour se laisser bercer par sa nouvelle "sleep song". Et pourtant.
L’ode de Mike Ladd raconte les rêves de soldats américains déployés en Irak pendant la guerre. Conçue comme un voyage vers la maison d’Ibn Sirine, grand interprète de rêves en Islam, elle permet de comprendre peu à peu que sous la candeur du souvenir des familles, ou l’incompréhension de se retrouver en ce pays étranger, se cache une peur permanente. Et si au début le cerveau du soldat parvient à lui masquer la réalité, les drogues (dont Ladd va scander ad libitum le nom dans le passage le plus énervé du concert) sont tôt ou tard nécessaires pour supporter les atrocités quotidiennes. Pour accompagner sa guouaille intelligente, Ladd s’est adjoint deux poètes porte-voix symbolisant le conflit : l’irakien Ahmed Abdul Hussein et l’états-unien Maurice Decaule. Leurs timbres complémentaires suffiraient à introduire la musicalité dans le récit, mais les textes sont de plus portés par une musique fluctuante où se croisent l’oud de Ahmad Mokhtar, la guitare de Serge Teyssot-Gay (qui nous avait habitué à ces mélanges de sonorités lors de ses duos avec Khaled AlJaramani) et surtout le piano de Vijay Yver (jazzman prolifique de New-York et collaborateur de longue date de Mike Ladd) : ses envolées cristallines sont l’armature qui sous-tend tout le spectacle.
Le public du théàtre de l’odéon bâtît deux ou trois fois dans ses mains, et s’esquiva : trop blasé de culture ? trop franco-français et imperméable à un spectacle en langue étrangère sous-titrée ? Cela n’était pas rendre l’hommage mérité à ce qui venait de se produire : un vrai moment de poésie vivante.
le 13/10/2011