(Carte Postale Records / Import)
22/09/2004
Electronique
De la collaboration de deux jeunes artistes namurois nous arrive, sur l’ambitieux et intègre label belge Carte Postale, une pièce remarquable qui constitue l’une des plus jolies surprises de 2004. Le musicien Raphaël Piotto frappe fort avec ce premier album d’un raffinement extrême et les images mélancoliques et oniriques de la vidéaste Yungi Oger contribuent à l’originalité de cette oeuvre qui se détache du lot des productions courantes. A vrai dire, on ne sait exactement lequel des deux a inspiré l’autre tant la musique et les images s’interpénètrent pour convier l’auditeur-spectateur à un véritable voyage.
Nous entrons de plain pied dans les compositions délicates et douces de Pi8 (en dépit de certaines structures plus abrasives) en suivant notre guide, la jeune Lucile, dont les promenades champêtres ou urbaines constituent le fil rouge du disque et permettent à la musique de s’incarner et de s’imprimer en nous. Lucile marche, court, contemple, rêve, découvre, danse, joue, frime parfois gentiment avec une grâce mutine, seule ou parmi la foule, en ville ou à la campagne. Elle est filmée avec originalité et tendresse, tandis que les structures contrastées et émouvantes de Pi8 se déploient avec pertinence et intensité.
Nous avons été davantage séduit par les mélodies, d’une grande pureté, que par les rythmiques parfois hachées et fracturées. Mais une chose est certaine : tout au long des 9 étapes de l’heure de voyage que nous entreprenons, nous sommes frappé (comme ce fut déjà le cas à deux reprises en live, où le même accompagnement visuel est du reste présenté) par l’intelligence et la maturité du musicien namurois, incontestablement très inspiré quant à l’agencement des sons et des structures. Chacun des morceaux témoigne d’une recherche soignée et personnelle, d’un dialogue constant entre craquements, grincements, martèlements et épure mélodique subtile, avec des motifs et des nappes oniriques de toute beauté.
Allégorie sur la ville et la campagne, l’individu et le groupe, le passage de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte - thèmes au demeurant sous-jacents de plusieurs disques electronica -, le film présente également une tonalité complexe, entre tension et apaisement, froideur et profondeur, mélancolie et amusement. La remarquable combinaison musique-images, soignée et brillante, induit chez l’auditeur-spectateur une palette d’émotions qui dépasse assez nettement ce que l’on peut ressentir à l’écoute d’une oeuvre plus conventionnelle.
Délicatesse, raffinement, onirisme, amusement, enthousiasme, introspection, désir de jouer, de danser : en un mot, une véritable émotion se dégage de Meet Lucile, une émotion fragile et sincère, grâce à la sympathie espiègle de la jolie Lucile et aux cisèlements très travaillés d’un musicien doué et inspiré. Nous ne pouvons qu’espérer que ce dernier continuera à nous gratifier de travaux aussi convaincants que ce premier opus.
Quelques mots enfin sur les deux "extras" qui accompagnent le disque : Apli-wash, fait d’une nappe lancinante et inquiétante, de quelques notes répétées sur une structure de grincements prononcés et de vrombissements, est accompagné d’images volontairement bancales semblant extraites d’un vieux film de vacances ; Hee, sorte de variation du splendide Hee jung figurant sur la compilation du label, est plus apaisé et très séduisant avec ses cordes amples et sereines qui placent l’auditeur dans un état d’apesanteur induit par le lent balancement des corps et des nacelles à l’écran, tandis qu’à mi-chemin apparaît une rythmique fine et élégante renforçant la plénitude qui se dégage de ce superbe morceau, sans doute le meilleur du disque selon nous.
le 01/01/2005