(C0C0S0L1DC1T1 / Cargo UK)
13/06/2005
Electronique
Akufen / C0C0S0L1DC1T1 / Deadbeat / Electronica / Lowfish / Meek / Prhizzm / Secret Mommy / Venetian Snares
-40 était un projet ambitieux, à l’image du label qui cherche toujours à faire le lien entre son et image. L’objet est original, reprenant la couverture d’un livre, et renfermant deux disques, un CD et un DVD, ainsi qu’un livret bilingue (français/anglais) riche en explications quant aux travaux des artistes présentés.
Le projet consistait à travailler à partir de films de propagande des années 40 sélectionnés parmi les archives de l’Office National du Film du Canada. Les musiciens devaient composer une nouvelle bande son au documentaire, et les vidéastes créer une nouvelle vidéo en gardant la même bande son. Un moyen de donner une relecture, une vision moderne de ces images du passés.
Sur le CD, on trouve dix morceaux, avec parmi les "stars", Secret Mommy, Akufen, Lowfish, Deadbeat ou encore Venetian Snares. Point important, les artistes ont généralement composé de véritables morceaux qui peuvent être écouté indépendamment des images. En le parcourant dans l’ordre, on commence par découvrir Knifehandchop qui, comme la plupart des artistes, garde une part de la bande son d’origine, dont les voix, qu’il découpe en suivant le tempo et les effets de syncope de sa rythmique. Secret Mommy comme a son habitude produit une musique très hachée mais toujours efficace, aux mélodies subtiles et effets donnant l’impression que la bande est en mauvais état. Meek travaille sur les rythmiques, un peu à la manière d’Autechre mais en plus sage et sans mettre de côté l’aspect mélodique puis Akufen reste dans son domaine en utilisant les sons d’époque comme une composante essentielle de sa musique. Le décalage est alors intéressant, entre son rétro et minimal techno.
Autre très belle découverte, Prhizzm semble inspiré par Biosphere avec son ambient polaire en guise d’introduction, avant d’évoluer vers une electronica fine, sensuelle et racée. Le hip-hop de DJ Dopey est lui aussi assez surprenant. Outre la rythmique propre au genre et ses classiques scratchs, la mélodie mélancolique surprend, donne l’impression d’être issue du film original, puis retraitée, fracturée, hachée. On retrouve ensuite Lowfish avec un plaisir presque honteux. Ses sonorités nous replongent directement dans les années 80 et se mêlent habilement aux bips de radars du film. La transition se fait assez bien avec l’intro du morceau de Hellothisisalex, mais ceux-ci évoluent bien vite vers une électro-poppy bariolée, chaotique, aux sonorités kitsch saturées. Pour finir, deux valeurs sûres, avec Deadbeat et son dub soyeux, puis Venetian Snares qui nous surprend avec un morceau arythmique et proche d’une musique classique contemporaine.
Sur le DVD se trouvent 20 plages. Les dix premières correspondent aux morceaux que l’on vient d’évoquer, que l’on peut donc voir avec les images d’origine. C’est peut-être là la partie la plus intéressante du projet, puisque l’on obtient alors une nouvelle compréhension de ces morceaux. On en saisit toute la gravité (camps de canadiens de descendance japonaise pour Meek, enfants réfugiés pour DJ Dopey), on s’extasie sur l’interaction entre son et image (Secret Mommy) ou sur la façon dont l’artiste est parvenu à reproduire l’ambiance du film (Prhizzm), et nos a priori tombent quand on croyait Lowfish complètement décalé alors qu’il parvient plutôt habilement à rendre la tension d’une bataille navale. Mais pour conclure, c’est Venetian Snares qui nous cloue le bec : le film sur lequel il travaillait traitait de la chirurgie esthétique et de son apport pour rendre un visage humain aux blessés de guerre. Dans ce film, des soldats blessés assistent à un concert de piano. La musique contemporaine de Venetian Snares apparaît alors comme une déformation de ce concert de piano, à l’image des visages difformes de ces soldats.
Les vingt autres pistes correspondent donc à des travaux de vidéastes qui remixent en quelque sorte le film d’origine tout en gardant la bande son d’époque. On n’évoquera pas tous les artistes ici, mais on retiendra dans l’ordre le travail de David Lemieux pour son mélange de techniques (dessin ligne claire, abstractions sensuelles et colorées, enrichissement du film d’origine), puis Josh Raskin qui nous offre un film étonnant que l’on pourrait tout aussi bien situer dans les années 40 qu’à notre époque : il utilise des techniques modernes parfaitement visibles, mais généralement dans le but de reproduire des éléments et effets du passé. Le résultat est étonnant, déconcertant, et colle parfaitement à ce film sur la recherche atomique.
Creatrix, pseudo artistique d’Erin Lewis, a choisi le décalage et l’humour avec sa palette graphique en parsemant un documentaire sur la bataille pour le pétrole de petites fleurs, d’arc en ciel, de soleil, et affublant un personnage de cornes et d’une queue de diable. On finira ici avec Cinétik, pseudo de Frédéric St-Hilaire, qui parsème le film original d’abstractions graphiques rouge-orangées, entre le filtre complexe et le tableau de Mondrian.
Il s’agit certainement là du travail le plus aboutit du label franco-anglo-canadien, tout en restant d’une approche relativement facile en comparaison à quelques unes de leurs productions. Hautement recommandé !!
le 15/08/2005