30/11/2003
Teatro Verdi,
Pise
La soirée de clôture du festival permet de voir l’Instant Composer’s Pool Orchestra, groupe hollandais formé autour des deux vétérans Misha Mengelberg et Han Bennink. À un jazz déstructuré qui mêle compositions de Thelonious Monk (dont Mengelberg est fan) et morceaux plus modernes écrits et improvisés par ses membres, ce grand ensemble ajoute une certaine théâtralité issue de la mouvance Fluxus que fréquentaient Mengelberg dans les années 60. Pour le concert de ce soir, le violoncelliste Tristan Honsinger n’a pas pu faire le déplacement, mais c’est avec joie que nous retrouvons le saxophoniste Tobias Delius qui était absent au festival Jazz à Mulhouse cet été.
La première partie commence lentement, dans une certaine confusion, Mengelberg passe et repart dans les coulisses. Le groupe s’est quand même mis en place et joue doucement, sans forme vraiment définie. Bennink, d’entrée de jeu, nous apparaît très en forme, et cela va se confirmer. Il tape le rythme rien qu’en entrechoquant ses baguettes, puis en jette une par terre pour la faire rebondir et la rattraper tout en continuant à jouer de l’autre, appelle son copain Misha qui tarde à venir. Le groupe recommence plusieurs fois les premières mesures d’un de leurs tubes, sans jamais aller plus loin, mais c’est leur manière de jouer avec la faim du public. Cela a au moins le mérite de faire venir Mengelberg, tranquille, qui pose son verre d’eau sur son piano, son sac plastique en dessous, et pof pof s’assoie enfin. Pendant tout le concert, c’est le jeune trompettiste Thomas Heberer qui va souvent être en avant, ce qui n’est pas l’habitude, et du coup c’est un peu une révélation, car ses envolées nous semblent ce soir concilier les qualités de l’ICP : d’une part des bouts de mélodie qui permettent d’accrocher l’audience et d’autre part un son puissant et rugueux pour la prendre à contre-pied.
À un moment seuls restent en scène Ab Baars, Mary Oliver, Tobias Delius et Han Bennink pour une pièce improvisée. Les trois premiers vont rester à peu près sages, mais Bennink veut descendre de la scène, se prend les pieds dans un fil et se retrouve les quatre fers en l’air dans la fosse, crie "Aiuto !" (à l’aide !), reprend ses esprits, tape le rythme sur le plancher avec ses baguettes qu’il n’a pas lâchées, puis court, ouvre la porte dérobée qui permet de faire rentrer les musiciens pendant les opéras, s’y engouffre et la claque derrière lui, la rouvre quelques instants plus tard pour jeter un pupitre qui devait avoir le malheur de traîner derrière. Pendant tout ce cirque, le trio resté sur scène ne s’est jamais laissé distraire, sans doute habitué aux frasques de leur batteur.
Après un petit entracte, l’ICP reprend avec un répertoire moins improvisé : ils jouent surtout des ballades, différentes des quelques pièces accrocheuses qui émaillent d’habitude leurs prestations. Enfin quand on parle de ballades, c’est qu’ils en utilisent la trame un peu douceâtre et romantique. Cela ne les empêche pas de continuer leur politique de mélange de ritournelles et d’envolées plus bruitistes. Le morceau aux aspects les plus hétéroclites est une composition de Heberer intitulée Climbing the Mountain. Les différents moments d’une randonnée alpestre y sont mis en musique, ce qui est prétexte à de lentes montées de saxophones et à d’abruptes ruptures de rythme quand Heberer emmène ses acolytes observer une fleur entre deux rochers. À côté de ce méli-mélo musical, les autres pièces seraient presque mollassonnes, si il n’y avait pas ces diversions qui apportent un contrepoint. Mengelberg et Mary Oliver par exemple n’étant plus au centre de l’action, s’improvisent un petit concours de vocalise, Mengelberg donnant les notes au piano et Oliver les chantant. Cela pourrait être simplement un petit jeu à deux, mais en fait ces notes viennent se placer exactement comme il faut dans le morceau joué par le reste de la troupe, qui semblait n’avoir rien à voir.
le 09/12/2003