12/12/2003
Glaz’Art,
Paris
Festival Octopus 2004 / Glaz’Art / Stephan Micus / Zad Moultaka
Fidèle à l’éclectisme du magazine Octopus, le festival du même nom abordait ce soir le croisement entre jazz et world music, avec en tête d’affiche Stephan Micus que l’on croyait capable de faire remplir le Glaz’Art. Est-ce l’éloignement de la salle ou un manque de promotion, toujours est-il que cette soirée était loin d’afficher complet. Faisant le déplacement en grande partie pour l’allemand signé chez Ecm, on découvrait ce soir deux autres artistes, soit le français Miqueu Montanaro et le libanais Zad Moultaka.
Première surprise, Miqueu Montanaro, petit homme du sud de la France, trouve tout de suite une certaine sympathie de la part du public. Seul sur scène avec une flûte et un tambourin, il joue un premier titre qui pour nous sera tout simplement un morceau de musique traditionnelle appartenant au folklore provençal. Musique rythmée, entraînante et dansante faisant penser à des ballades de troubadours.
Ce qui était fort appréciable lors de cette soirée, c’était le côté didactique de chaque concert, tous les musiciens prenant le temps d’expliquer ce qu’il jouait, d’où ils tenaient leurs influences, d’où venait tel ou tel instrument. On apprendra ainsi que Miqueu Montanaro jouait du galoubet (une flûte à trois trous) et du tambourin, ces deux instruments étant indissociables dans la musique traditionnelle provençale.
La suite du concert nous permis d’avoir une vision plus juste du travail de ce musicien. Dès le deuxième morceau on aurait envie de le rapprocher de Stephan Micus avec des mélodies plus orientales et une répétition presque contemplative avant qu’il ne se lance dans des passages improvisés, sortant des sonorités complètement différentes de sa flûte en soufflant plus fortement, ou en utilisant sa voix en même temps. Quand à son tambourin, il en jouera avec une brosse à cheveux ou même une brosse a dents, imitant les balais sur une batterie.
Une bonne surprise donc et une excellente introduction à cette soirée.
On nous prévient avant l’arrivée de Stephan Micus : silence maximum requis, interdiction de fumer, photos interdites et pas de rappel. Rien que ça pour finir de faire de cette soirée un événement, faisant presque passer l’artiste pour un gourou, justement habillé de vêtements amples et clairs, assis en tailleur sur une sorte de petite estrade placé sur la scène, elle-même recouverte d’une toile blanche.
Avant ou après chaque morceau, comme pour le premier concert, il nous expliquait l’histoire ou l’origine de l’instrument utilisé, comme le duduk d’origine arménienne qu’il utilise sur le premier titre, Before Sunrise, extrait de son dernier album Towards th Wind. Chaque morceau est un solo utilisant un nouvel instrument aux sonorités extraordinaires : les basses du duduk proches d’un saxophone, pouvant se rompre en un doux sifflement de flûte, les ronds et graves tintements de sinding (sorte de harpe africaine avec caisse de résonance) sur laquelle Stephan Micus chante d’une voix pleine de douleur, les doux sifflements de shakuhachi (flûte japonaise), ou le fameux kalimba composé d’une petite boite en bois et de lamelles de métal. A ce moment on repensera à tous les concerts de laptop que l’on va voir et au décalage qu’il y avait avec cette soirée riche en émotion.
Après 30 minutes et une petite pause, Stephan Micus revient pour une deuxième partie, reprenant chaque instrument précédemment utilisé. Pas de surprise particulière, seulement la même justesse, la même beauté dans l’épure. Cette seconde partie sera marquée par un morceau chanté a cappella nous faisant penser à Brendan Perry, et un autre sur lequel l’allemand passait ses mains sur le corps de son sinding pour créer un rythme ou murmurait ses textes devant un public en admiration, à juste titre.
Il est vrai que l’on était peut-être déjà conquis d’avance, mais on ne s’attendait tout de même pas à ce que la musique de Stephan Micus prenne une telle ampleur, presque mystique et une telle gravité en live.
Etant arrivé à une heure déjà bien avancée de la soirée suite à un petit tour du côté merchandising afin de compléter notre collection de vieux Octopus, on s’apprêtait alors à quitter le Glaz’Art lorsque Zad Moultaka pris place seul au piano. On se décide finalement à rester histoire d’écouter un ou deux titres, mais c’est finalement l’intégralité du concert que l’on finit par voir.
Si pour les deux premiers concerts c’est le côté "world" qui prenait le pas sur l’ensemble de la musique, c’est une dominante jazz qui habitait la musique du libanais. Il nous fera parfois penser aux improvisations de Keith Jarrett quand il semblait chercher quelque chose pour finalement arriver, après un petit cheminement expérimental, à une musique aux mélodies plus immédiates. Une autre fois il part d’un morceau traditionnel du sud de l’Espagne si ma mémoire est bonne, qu’il décompose petit à petit jusqu’à obtenir une musique entre jazz et musique contemporaine.
Pour finir, il invite Miqueu Montanaro sur une dernier morceau totalement improvisé et de toute beauté, chacun étant à l’écoute de son comparse afin de produire des sons en accord, étant tour à tour initiateur d’un mouvement, d’un rythme tandis que l’autre y adaptait une tentative mélodique. Zad Moultaka comme régulièrement pendant son concert pince les cordes du piano comme celle d’une harpe, et Montanaro se libère et donne son maximum sur cette impro.
Encore une excellente soirée, dans un style que l’on ne fréquente certainement pas assez, ce qui nous permet peut-être d’être facilement enthousiaste.
le 19/12/2003