13/10/2004
Knitting Factory,
New-York
Erik Friedlander est un violoncelliste important d’une certaine avant-garde new-yorkaise : outre ses nombreux projets personnels, il est aujourd’hui l’un des membres du Masada String Trio, la déclinaison à cordes du groupe phare de la nouvelle musique klezmer conduit par l’omniprésent John Zorn. Il se produit ce soir en solo, et visiblement dans l’optique de faire connaître son oeuvre à un public à qui il n’est pas familier. La soirée est organisée dans le cadre de la convention des college radios américaine qui se tient en ce moment en ville, et fait partie des innombrables showcases où les maison(-ettes ?) de disques présentent les artistes de leur catalogue pour accrocher l’oreille d’un programmateur qui aurait la bonne idée de passer par là. Cela donne un concert éclectique, Friedlander puise dans différents aspects de son répertoire, et commente chaque morceau, en pointant les éléments de sa discographie où on peut le retrouver. On ne sait d’ailleurs s’il était ironique ou simplement prosaïque quand il expliqua que que le morceau qu’il venait de jouer se trouvait sur tel disque, mais que cela pouvait être un peu différent, car c’était improvisé. Il fait en tous cas preuve d’une technique très complète, alternant différents styles avec virtuosité, produisant de beaux sons ou bien cherchant au contraire les limites de son instrument. Dans ces moments plus borderline, il a cette qualité des musiciens de formation classique qui savent enlever les éléments propres à plaire à l’oreille tout en conservant le mince squelette qui confère sa musicalité au morceau, par opposition au hasard ou cut-up bruitiste.
Peter Brötzmann commence son set par un de ses longs mouvements habituels, suite à perdre haleine de notes rugueuses et colériques, qui dessinent cependant des paraboles mélodiques. Il est accompagné ce soir par Marino Pliakas à la basse et Michael Wertmüller à la batterie. Ce genre de formation où Brötzmann éprouve le besoin de se frotter à une section rythmique électrique est récurrent, comme en témoigne le récent disque avec la paire Nielsen - Uuskyla. Mais alors que les suédois ont de quoi énerver en concert par leur manièrisme vieux jazz (ce qui heureusement s’atténue une fois mis en boite), Pliakas et Wertmüller jouent leur rôle de backing band avec beaucoup d’intelligence, construisant par une technique similaire à celle de Brötzmann un mur du son sur lequel les longs souffles du saxophoniste peuvent prendre appui. Tout cela produit forcément beaucoup de bruit, de quoi rendre jaloux nombre d’artistes noise, d’autant que l’énergie sous-jacente retient l’attention de l’auditeur de manière presque hypnotique. . Est-ce le froid glacial dû à la climatisation ou le faible public présent dans le "bar à pression" de la Knitting Factory, toujours est-il qu’au bout d’une grosse demi-heure, le concert prend cependant fin, sans que les traits de Brötzmann aient esquissé le moindre sourire : la clarinette basse aura pris l’air pour rien, on remballe.
Nouveau changement de style pour le dernier concert, les Clogs viennent présenter leur musique de chambre au format pop. Il prennent ainsi place dans un genre peu couru, mais qui a déjà procuré de beaux moments de plaisir avec les Rachel’s ou le Threnody Ensemble. La formation tourne autour du guitariste (qui joue assis, dont les doigts ont l’agilité requise pour esquisser de jolis arpèges) et du violoniste (en chaussettes et par terre) qui ne rechigne pas à se saisir d’une guitare lui-aussi sur certains morceaux. Les percussions connaissent la même hypertrophie que dans les orchestres modernes ; la batterie est incomplète, mais s’est vu adjoindre un glockenspiel et des marimbas. Un seul homme pour s’occuper de tout ça. Enfin la musicienne la plus discrète (une intro par ci, un accompagnement par là) joue du basson. Étant donné la rareté de cet instrument et des sons qu’il produit, on aurait bien sûr aimé en entendre plus, cela aurait permis de défricher des territoires prometteurs, surtout que les musiciens ont manifestement le bagage nécessaire pour entreprendre une telle exploration. Mais non, ils restent dans des chemins convenus. Cela n’empêche que le résultat, en recyclant des sonorités classiques sous la forme d’un butinement sans conséquences, est fort agréable à entendre. Et beaucoup n’y parviendraient pas.
le 01/11/2004