12/01/2005
Point Ephémère,
Paris
Il y a un peu plus d’un an, en décembre 2003, Octopus proposait la première édition de son festival, permettant de retrouver le panorama des musiques explorées dans leurs pages. Aujourd’hui, il s’agit de pages web puisque l’ancien fanzine, récupéré puis abandonné par Mouvement, se présente actuellement sous la forme d’un site internet. Pour cette deuxième édition, les organisateurs ont abandonnés le principe des soirées par genres pour se concentrer sur le thème des inventeurs d’instruments. Deux soirées-concerts étaient prévues, la première au Point Ephémère ce jour, la seconde au Centre Pompidou le lendemain.
Nous voici donc au Point Ephémère où, mis à part Rafaël Toral, on se demande un peu ce que l’on va voir. On sera en fait assez rapidement éclairé puisque la soirée débutait par la projection de trois petits films-interviews des artistes devant se produire ce soir. Excellente initiative, dans un esprit didactique qui nous rappela la soirée jazz-world au Glaz’Art l’année précédente, où chaque musicien nous parlait des instruments peu communs dont ils jouaient. On se retrouve alors tout de suite dans autre chose qu’une simple suite de concerts, ces films apportant explications, et tentative de vulgarisation en permettant d’avoir un autre regard sur les performances à suivre.
On commence par le français Emmanuel Ferrand, chercheur et mathématicien qui fait donc également de la recherche musicale, en tant qu’adepte du circuit bending (modification de jouets électroniques à des fins musicales), membre du Gameboys Band, ou comme ce soir en créant d’étranges machines métalliques, à base de ressorts, plaques vibrantes, diapasons, métronomes, et divers capteurs afin de rendre audible ce qui ne l’est pas toujours. On aura un peu de mal à appréhender sa musique, certes expérimentale, mais surtout parce que l’on avait du mal à voir ce qu’il faisait et donc à apprécier le lien entre le geste et les sonorités produites. Il passait apparemment le plus clair de son temps à passer un archet sur les divers éléments d’une de ses machines musicales, et l’on entendait bien les grincements provoqués par le glissement de l’archet sur les parties métalliques de son mobile. Mais de nombreuses autres sonorités, plus douces, n’ayant a priori rien de métallique se faisaient entendre au second plan, à la manière d’une respiration, de souffles colorés, ou de fields recordings aux ambiances sombres et industrielles. Sur la fin, les tintements d’une boite à musique finissent par apporter une douceur mélodique salvatrice pour un concert plaisant mais dont on regrettera le manque d’un petit quelque chose...
Une petite pause, et le portugais Rafaël Toral prend place, avec un ampli de poche, un micro, une lampe électrique et une cellule photoélectrique. Il tient tout ça dans ses mains et se lance dans de grands gestes, approchant et éloignant chacun des éléments, faisant des moulinets avec son bras, et produisant ainsi ce que l’on comparera à des chants d’oiseaux, piaillements imprévisibles qui feront sourire la plupart du temps, ou même rire quelques membres du public. Ici on a droit à tout le contraire du concert d’Emmanuel Ferrand avec une prestation extrêmement visuelle. Avec son look sérieux d’éternel étudiant, Rafaël Toral joue sur le décalage avec une musique ludique, basée sur le rythme, le portugais devant sans cesse allier ses gestes aux sonorités produites, afin d’être en phase avec un tempo imposé par les machines ou d’en forcer la cassure. Par deux fois il s’amusera avec un long ressort pendu à un micro, sur lequel il donnera des coups ou qu’il caressera avec une plume, produisant des sons graves et ronds qui changeaient un peu des piaillements. Là aussi, un set très expérimental, mais la part d’amusement aidait à faire passer la chose, nous laissant un très bon souvenir de cette prestation.
On terminera avec l’américain Arnold Dreyblatt, la cinquantaine, qui jouait ce soir pour la première fois à Paris, et faisait donc figure d’événement. Il commença son concert par une pièce récente, Calculations, interprétée au laptop. Joli, mais rien d’extraordinaire non plus. Cette oeuvre est une superposition de drones aux sonorités proches de mélodica, accordéons ou orgues nasillards. Un peu frustrant de voir un concert au laptop dans une soirée consacrée aux inventeurs d’instruments.
La suite sera nettement plus intéressante, puisque son truc à lui, c’est la contrebasse et sa grosse caisse de résonance lui fournissant de riches harmoniques pour créer ses drones. Il l’adapte à ses besoins comme ici en remplaçant les cordes de l’instrument par des cordes de piano extrêmement tendues. Il obtient alors un son nouveau qui est la clé de Nodal Excitation, une pièce composée en 1979 avec laquelle il enchaîne. Il passe d’abord son archet sur les cordes, créant quelques nappes, puis les frappe de façon régulière, répétitive, produisant un étrange mélange entre le son produit lorsque l’archet touche les cordes, et la résonance qu’elles produisent, beaucoup plus aiguë. On pense alors à des musiques indiennes qui, associée à cet aspect minimaliste et répétitif nous rappelle Terry Riley.
Une bien belle découverte qui clôturait une soirée à la fois plaisante et enrichissante devant un public de connaisseurs qui apprécièrent ce dernier concert à sa juste valeur. On rentrait alors chez nous afin d’être frais pour la deuxième soirée, le lendemain au Centre Pompidou avec notamment Gert-Jan Prins.
le 18/01/2005