Festival Ear We Are 2005 : Evan Parker Ensemble / Duo Furt

 date du concert

03/02/2005

 salle

Alte Juragarage,
Bienne (Suisse)

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Alte Juragarage / Festival Ear We Are

 liens

Festival Ear We Are

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Le festival Ear We Are se tient dans la bilingue Bienne/Biel tous les deux ans. Le thème central de la programmation est le son lui-même, et comment il peut être présenté à l’auditoire pour chatouiller les oreilles. Le spectre des artistes invités va des musiques électroniques à l’improvisation, dans le passé AGF, Vladislav Delay ou Fred Van Hove, cette année the Ex, Phil Minton ou bien Evan Parker pour la soirée d’ouverture.

On commence par une série de duos. Tout d’abord Evan Parker (saxophone alto) et Joel Ryan (ordinateurs et table de mixage). Parker joue des groupes de notes rapides en souffle continu, et Ryan retraite le résultat, superposant peu à peu les couches de notes. La confrontation avec un traitement électronique est un des versants de ce que fait Parker depuis plusieurs années, notamment dans sa collaboration avec Lawrence Casserley. Et une fois de plus cela nous laisse sceptique. Vu le style de jeu, qui produit des notes en continu, on obtient au mieux un effet de masse (c’est comme si on avait plusieurs saxophonistes) mais les apports individuels sont noyés dans une bouillie de sons.

Dans un deuxième temps, c’est Paul Lytton (batterie) qui se soumet aux effets de Joel Ryan. Le résultat, à défaut d’être agréable, est beaucoup plus intéressant. Lytton a un ensemble de percussions que l’on pourrait qualifier de classique pour le milieu de l’improv : une batterie plus ou moins complète et une table avec divers objets aux sons plus exotiques, en métal ou en bois. Son jeu mêle les sonorités, utilise notre attente de la rythmique, la trompe par des silences. Après avoir laissé Lytton développer les bases de son art et le public s’y habituer, Joel Ryan commence ses interventions. Tel percussion est alors démultipliée, prolongée dans un écho artificiel, et cela produit un décalage entre notre perception du geste et ce qu’entendent nos oreilles, nous amenant à nous interroger sur l’origine des sons.

Puis Ryan fait équipe avec Barry Guy, le troisième et dernier membre de l’Evan Parker Trio, à la contrebasse. On retrouve un peu le même partage des rôles qu’avec Paul Lytton, pour des effets qui sont maintenant moins surprenants. Mais surtout on ne voit et n’entend que Barry Guy, qui déploie toute la palette de ses talents. Il joue une sorte de pièce solo, mais qui incorporerait l’écho électronique dans un schéma récursif. Il est en écoute des sons produits, même s’il est le seul à les produire, bref il est en état de composition instantanée permanente.

Dernière paire à se produire avant la pause, le Duo Furt, c’est à dire Paul Obermayer et Richard Barrett, qui a sorti un album l’an dernier sur le label Psi, dont Evan Parker assure la direction artistique. Ils utilisent des synthétiseurs qui n’auraient pas déplu à des groupes de new wave grand public de la fin des années 80 et des ordinateurs. Mais ils en jouent avec force gestes épileptiques, saccadés, surprenants : on a brièvement l’impression que Thomas Lehn s’est dédoublé devant nous.

Après la pause, ce sont les six musiciens qui reviennent tous ensemble. Il n’y a au début pas d’électronique, ce qui est plutôt agréable, parce qu’on a l’impression d’avoir le trio acoustique, et c’est ce qu’on attendait depuis le début de la soirée. Ils peuvent alors déployer leur jeu, leurs pratiques longuement élaborées, qui profitent de leur connaissance mutuelle. Puis il y a une montée en puissance de Richard Barrett, et ses sonorités viennent renforcer les percussions de Lytton avec bonheur. Quand tous jouent leur rôle (c’est à dire que Ryan pratique à nouveau ses re-traitements sonores), l’ensemble paraît moins puissant, mais la confrontation acoustique/électronique prend tout son sens et atteint un point d’équilibre doucement instable propre à susciter l’éveil de l’auditoire, en attente de chaque nouveau changement.

Bertrand Le Saux, Soizig Le Calvez
le 10/02/2005