du 07/06/2023 au 18/06/2023
Forum des Images,
Paris
Ayant disposé de près d’une année pour concocter sa première sélection à la tête de la Quinzaine des Cinéastes (nouveau nom de l’ancienne Quinzaine des Réalisateurs), Julien Rejl a souhaité revenir à l’esprit de découverte et de défrichage de cette section parallèle. Avec ses 20 longs-métrages, dont 6 premières réalisations, et un nombre (très) important de noms totalement inconnus, on peut dire que, sur le papier, le pari était tenu. Plus encore, la volonté de resserrer le nombre de propositions françaises (5, seulement) traduisit ce choix d’ouverture, permettant de mettre la lumière sur l’Asie (5 films) et les États-Unis (3 longs-métrages), délaissant totalement l’Amérique du Sud, habituée des derniers exercices. C’est donc sans beaucoup de repères, avec intérêt (compte tenu des retours positifs de la presse), et un peu au hasard de la programmation, qu’on se rendit à la reprise d’une sélection qui, nouveauté également, dépassait largement le cadre parisien pour offrir ses films dans une trentaine d’autres villes.
Pour débuter, avec un réalisateur connu (et plutôt apprécié), on s’arrêta sur un nouvel avatar de l’intérêt renouvelé du cinéma français pour les films de procès. Le Procès Goldman retrace, ainsi, le second passage en justice de la figure d’extrême-gauche des années 1970. Hormis une scène introductive, dans le cabinet de Georges Kiejman, avocat de Pierre Goldman, tout le long-métrage se déroule dans la salle d’audience, face aux juges et au jury chargés de l’avenir de celui qui était accusé de plusieurs braquages à main armée, dont un se termina par un double décès. Esthétiquement moins puissante que d’autres films du même registre, du fait de sa forme qui reconstitue aussi bien les tenues, coupes de cheveux et allures d’époque, que son image qui convoque des archives télévisuelles (cadre carré, gros grain), la réalisation de Cédric Kahn génère une sorte de mise à distance. Renforcé par une diction un peu trop récitative, au début du film, d’Arieh Worthalter (dans le rôle-titre), dont les interruptions de parole des autres intervenants manquent de spontanéité, ce sentiment s’estompe progressivement. La force de la parole reprend alors le dessus, comme la rhétorique quasi-fascinante de Goldman, qui fait le choix de s’attaquer à l’institution judiciaire et à la forme même du procès. Sans forcer l’empathie envers son personnage, le film donne alors à comprendre pourquoi sa figure marqua l’époque et constitue, encore aujourd’hui (d’autant plus que plusieurs débats, tels l’antisémitisme français ou les comportements policiers, sont toujours d’actualité), une référence pour plusieurs mouvements politiques et contestataires.
Deux propositions plus naturalistes ensuite, dont Légua, centré sur deux gouvernantes chargées d’une riche maison, située entre Coimbra et Porto. Réalisé par João Miller Guerra et Filipa Reis, le film portraiture joliment ces deux femmes, dont Ana, la quarantaine, avide de variété portugaise des années 80 (chantée à tue-tête) et montrée comme une sainte (une scène la voit recouverte d’un drap blanc) car elle s’occupe aussi bien de la demeure bourgeoise que de Milinha, son binôme en fin de vie. C’est d’ailleurs un peu la limite du long-métrage, qui force trop ses métaphores, images signifiantes et parallèles entre la première et la seconde parties du film. Les rituels du lit au carré, de la toilette ou de la nourriture donnée aux chiens reviennent ainsi, mais avec un sens différent, appuyé. Reste néanmoins un beau mélange de ces deux genres que sont la chronique d’une maison délaissée par ses propriétaires, où ne survivent que les domestiques (La Cerisaie n’est pas si loin), et la glorification des aidants des personnes âgées.
Au début de Blue Summer (Xiao Bai Chuan) de la Chinoise Zihan Geng, le risque de bluette semble assez fort : filtre bleuté auquel le titre du film fait écho, image diaphane, relation entre admiration et attirance de Xian, 15 ans, pour Mingmei, 18 ans, beaucoup plus épanouie et extravertie qu’elle. Et puis, ce premier long-métrage gagne en épaisseur en même temps que son héroïne s’affirme et se révèle, assumant ses élans et prenant de l’assurance. Pour servir ce récit, au-delà de quelques séquences un peu attendues, la réalisatrice sait introduire des éléments intéressants, telle une lecture plus politique avec un jeu sur les langues (Mingmei est d’origine coréenne, et parle en coréen avec certains de ses amis), qui traduit aussi une attraction de la Chine (en tout cas des jeunes Chinois) pour la Corée et son modèle économiquement et sociétalement libéral.
Oasis de comédie dans cette sélection, Le Livre des Solutions permet, tout d’abord, de renouer avec Michel Gondry, dont on suit la carrière épisodiquement, trouvant souvent ces projets trop insistants dans leur caractère « bricolo-décalé ». Il y a encore un peu de cela dans cette histoire d’un réalisateur qui s’échappe de Paris, avec son équipe, pour terminer un film, reclus dans les Cévennes, alors que ses producteurs voulaient lui retirer un long-métrage devenu trop abscons. Servi par un Pierre Niney complètement débridé, et ponctué de plusieurs gags bien troussés, Le Livre des Solutions souffre pourtant d’une abondance de petites machineries un peu gratuites (telle la scène sous la fausse pluie), d’une longueur et d’une répétition certaines, avec une voix off trop présente. Montré comme bipolaire et en perpétuelle activité et recherche d’idées, Marc Becker bénéficie aussi d’une vraie complaisance de la part de Michel Gondry, alors qu’on a rapidement envie de lui coller trois paires de claques. Au reste, que veut nous dire, ici, le réalisateur, avec cette proposition possiblement autobiographique ? Entre la possibilité d’excuses de son comportement auprès de tous ses collaborateurs, la raillerie des films conceptuels ou de recherche comme celui que tente de faire Marc, ou la volonté de désamorcer, par anticipation, toute critique, les interprétations sont nombreuses. Les problèmes de rythme (gags trop récurrents, scènes trop étirées) laissent craindre une défaillance au montage, mais comme Gondry nous a montré, pendant tout le film, que les rapports réalisateur-monteuse sont source comique, on se trouve contraint à l’en excuser, technique de petit malin…
Enfin, deux films de genre, avec, en premier lieu, l’un des films états-uniens présentés, Riddle Of Fire, qui déploie, avec une fraicheur certaine, une forme tenant du film d’aventure un peu fauché et du conte de fées doté d’une patine 70’s (pellicule 16mm, ambiance d’ensemble, famille rappelant furieusement la Manson Family). Malgré quelques longueurs et invraisemblances narratives (qui font, toutefois, partie du pacte initial avec le spectateur, vu le registre suivi), on est pris dans cette mini-épopée, sur 24h, de trois enfants en quête d’ingrédients pour faire une tarte aux myrtilles à la mère de deux d’entre eux, condition posée pour délivrer le mot de passe permettant de lever le contrôle parental sur la console de jeu. Dans un village bordé de montagnes, typique de l’Ouest états-unien, les péripéties s’enchaînent et Weston Razooli démontre une bonne capacité à mixer l’imaginaire avec une dimension vidéoludique, l’enchaînement de scènes prenant des atours d’étapes à passer grâce à la découverte d’un nouvel ingrédient de la recette, ou en allant à la bagarre contre des méchants assimilés à des « boss » de fin de niveau.
Polar qui se déplace vite de Bruxelles aux Pyrénées-Orientales, L’Autre Laurens tient en fait de la pure série B dans laquelle les acteurs ne sonnent pas toujours juste et les figures sont archétypales : belle-mère vénale, bikers au cœur tendre sous leurs cuirs de gros dur, héros tout aussi empathique malgré son côté ours, jeune fille plus maligne que ses tenues et son maquillage outré laissent penser, etc… Filmé par le Belge Claude Schmitz, cette histoire d’enquête sur la mort suspecte du frère jumeau du héros réussit à proposer à la fois une intrigue un peu tarabiscotée et une résolution anticipable.
Dates de sortie :
– Le Livre des Solutions : 13 septembre 2023
– Le Procès Goldman : 27 septembre 2023
– L’Autre Laurens : 4 octobre 2023
– Légua : 13 décembre 2023
– Blue Summer : 20 mars 2024
– Riddle Of Fire : 17 avril 2024
le 20/06/2023