Hannan Ishay & Ido Shaked
Hannan Ishay & Ido Shaked
du 20/03/2025 au 26/03/2025
Théâtre Paris-Villette,
Paris
Il est forcément risqué, vu le contexte international, de présenter actuellement une pièce intitulée Mode d’emploi pour metteur en scène israélien en Europe, surtout quand il s’agit, en fait, de parler, pour les deux créateurs, de leur pays d’origine, avec un regard plutôt acéré et critique. Survenu en pleine période de répétition, le 7 octobre 2023 les a conduit à modifier leur spectacle, dans des proportions certainement importantes, et à montrer ce qui s’apparente à un témoignage chronologique de leur processus créatif, percuté par cette reprise de la guerre. Débutée le 7 octobre 2022, et ponctuée de bornes temporelles présentées au public avant chaque scène, telles des cartons de cinéma, la pièce commence quand Hannan Ishay et Ido Shaked sont conviés à un festival en Europe, pour y donner une création autour de l’identité.
Leurs échanges par courriels ou visioconférences se retrouvent traduits sur le plateau, avec une économie de moyens mais une belle inventivité, tandis que, sur le fond, Shaked estime que l’occupation par Israël des territoires palestiniens devrait être au centre de leur spectacle, alors qu’Ishay, pour sa part, pense que les dérives autocratiques du régime de Netanyahou devraient en constituer le cœur. S’envoyant régulièrement des « occupation » et des « démocratie », pour essayer de faire primer l’une sur l’autre, les deux auteurs le font sur un mode extrêmement humoristique, avec force autodérision (s’assumant comme des Israéliens gauchistes et éclairés vivant en Europe) et recul sur la situation de leur pays. Avec une grosse dose d’humour noir, ils se montrent aussi capables de se moquer de leur public, décrit comme venant voir un spectacle qui le conforte dans le fait qu’il existe des Israéliens de gauche et anti-régime.
Assez naturellement, les mises en abyme sont très fréquentes avec, comme motif récurrent, ce « dans la pièce » qu’ils se lancent, comme pour se rassurer sur le fait que ce qu’ils disent doit être bien pris au second degré. Pour autant, la gravité du 7 octobre 2023 finit par arriver, avec ses décomptes des morts, son évocation des otages et des bombardements. « Comment faire du théâtre après tout ce qui s’est passé ? » questionne alors l’un d’entre eux. Au-delà de cette interrogation, une autre nous a traversé l’esprit quand arriva le moment où il fallut qualifier ce que le régime israélien fait subir aux Palestiniens, et que le mot « génocide » n’arrive pas à être prononcé. Ils passent à nouveau par l’humour, le bégaiement et même la comédie musicale (« un mot facile à dire/mais difficile à admettre » chante Ido Shaked), mais ne disent pas ce terme. Qui est alors en train de (ne pas) parler : les interprètes ? leurs personnages ? des métonymies des Israéliens dans leur ensemble ? Impossible à trancher…
le 26/03/2025