du 19/10/2022 au 08/01/2023
Palais de Tokyo,
Paris
Le rapport au bâti et aux villes a toujours constitué le socle du travail de Cyprien Gaillard, depuis une quinzaine d’années que ces pages suivent sa trajectoire. Attaché au land art et aux ruines, lorsqu’il faisait partie, au tournant des années 2010, des sélections pour les Prix de la Fondation Ricard et Marcel-Duchamp (remporté en 2010), il a évolué, avec son déménagement à Berlin vers une approche, toujours aussi documentariste, mais davantage contemporaine. Souvent un peu hermétique (ou, tout du moins, nécessitant la prise en connaissance des cartels pour être bien perçu), son travail connaît, en cet automne-hiver, une belle mise en lumière avec une double exposition, au Palais de Tokyo et à Lafayette Anticipations.
Chargé d’occuper tout l’espace du niveau haut du centre d’art, il y organise un parcours qui désoriente un peu le spectateur puisqu’il se termine par la grande salle courbe (lieu qui est, d’habitude, plutôt celui par lequel on commence les visites). Cependant, le public francilien ne se trouve nullement égaré car des points de repère ponctuent la déambulation, à commencer, avant même l’entrée, par ces sacs à gravats contenant des milliers de « cadenas de l’amour », récupérés sur les ponts parisiens et sauvés du rebut par l’artiste. Plus loin, les arches de Ricardo Bofill, situés à Montigny-le-Bretonneux, derrière un lac, servent de toile de fond à la vidéo The Lake Arches, dans laquelle deux amis sautent dans l’étendue d’eau et l’un se blesse.
Mais l’intérêt de Cyprien Gaillard s’étend bien au-delà de la région parisienne puisqu’on trouve, plus loin, des petites photographies superposant deux prises de vue (frigos de supérettes new-yorkaises et améthystes), des gargouilles crachant du plomb provenant directement de la Cathédrale de Reims, des rames de métro new-yorkais enfouies dans la mer ou bien un vol de perruches à collier le long de la principale artère de Düsseldorf. Au fur et à mesure de l’avancée, se dévoile un propos tournant autour de la fin des illusions, ou de la décrépitude des utopies : « cadenas de l’amour » qui ont été enlevés car ils abîmaient les ponts, constructions post-modernes qui apparaissent aujourd’hui comme trop massives, moyens de transport obsolètes et fossilisés, etc…
Sans aucun relent réactionnaire ou nostalgique, le Français agit plutôt comme un mémorialiste, utilisant fréquemment la vidéo immersive pour servir son discours. Plus encore, ces films s’avèrent souvent doublement immersifs puisqu’ils sont projetés sur d’immenses écrans (dont l’ultra-panoramique Formation, diffusé sur tout le mur courbe de la grande salle, pour suivre les envolées d’oiseaux) et offrent aux visiteurs de plonger dans les mers (Ocean II Ocean) ou bien de suivre des oiseaux (Formation). Tout aussi techniquement très aboutie, une dernière œuvre clôt le parcours, avec L’Ange du Foyer, hologramme d’une créature un peu chimérique, reprenant un dessin de Marx Ernst, projeté en LED sur les pales d’un ventilateur. Alors que le dispositif se fait aussi intriguant qu’invisible, on se dit que Cyprien Gaillard démontre, dans cette exposition, une intéressante maturité.
le 11/01/2023